Plus de trois décennies après la chute du bloc communiste, la corruption demeure une réalité préoccupante dans de nombreux pays d’Europe de l’Est. Malgré les efforts constants pour réformer les institutions, limiter l’emprise des oligarchies et renforcer la transparence, les pratiques illicites persistent, souvent renforcées par des réseaux d’intérêts mêlant pouvoirs politiques, économiques et parfois criminels.
Les scandales se succèdent dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, y compris ceux inté-grés à l’Union européenne, jetant le doute sur la capacité de ces États à rompre durablement avec un passé autoritaire et clientéliste. Ce phénomène soulève une question récurrente : s’agit-il d’un héritage structurel de l’ère soviétique ou d’un système entretenu par la tolérance, voire la complicité, d’intérêts économiques transnationaux ?
L’indice de perception de la corruption : un baromètre incontournable
L’ONG Transparency International publie chaque année l’Indice de perception de la corruption (IPC), un classement mondial basé sur la perception de la corruption dans le sec-teur public. En 2024, comme les années précédentes, les résultats sont préoccupants : plus des deux tiers des pays obtiennent un score inférieur à 50 sur 100, signalant des niveaux élevés de corruption perçue.
L’IPC définit la corruption comme l’abus d’une fonction publique à des fins privées. Il s’appuie sur des données issues d’institutions indépendantes et d’enquêtes d’opinion auprès d’experts et de chefs d’entreprise. Un score proche de 100 indique une administration perçue comme très intègre ; un score bas reflète des pratiques endémiques de corruption, un manque de sanctions et une défiance à l’égard des institutions publiques.
L’Europe de l’Est à la traîne malgré quelques progrès
En 2024, l’Europe de l’Ouest et l’UE conservent un score moyen honorable de 66, tandis que les pays d’Europe de l’Est – notamment la Bulgarie (45), la Roumanie (46) et la Hongrie (42) – stagnent ou régressent. La Hongrie, dirigée par Viktor Orbán, est désormais classée parmi les pays les plus corrompus de l’UE, notamment en raison de l’utilisation controversée de fonds européens au bénéfice de proches du pouvoir.
En Roumanie, bien que certaines condamnations emblématiques aient marqué les esprits – comme celles de Liviu Dragnea, Radu Mazăre ou Sorin Blejnar – les affaires impliquant des multinationales comme Oracle et Veolia ont révélé une autre dimension du problème : la tolérance des grandes entreprises vis-à-vis des pratiques de leurs filiales locales. Les enquêtes ont mis en lumière des mécanismes de corruption sophistiqués, avec un coût élevé pour l’État roumain, tant sur le plan fiscal que social.
La Bulgarie : symbole d’un système enraciné
La Bulgarie reste le pays le moins bien classé de l’UE. En 2019 déjà, des membres du gouvernement avaient été éclaboussés par le scandale dit des « appartements de luxe », révélant un système de favoritisme et de détournement des fonds publics. Ces pra-tiques s’inscrivent dans un tissu complexe de relations d’influence – familiales, poli-tiques, économiques, voire mafieuses – hérité des réseaux de l’économie planifiée.
Des recommandations toujours d’actualité
Transparency International souligne l’urgence de renforcer l’intégrité politique, notam-ment à travers :
• une réglementation stricte du financement des partis politiques et des campagnes électorales ;
• une gestion rigoureuse des conflits d’intérêts ;
• le renforcement de l’indépendance de la justice et des médias ;
• et la transparence dans l’attribution des marchés publics.
La Directrice Générale de l’ONG, Patricia Moreira, rappelait que « s’attaquer au lien entre l’argent et la politique est la seule voie crédible pour enrayer la corruption systé-mique ».
Une Europe à plusieurs vitesses face à la corruption
Tandis que les pays nordiques comme le Danemark, la Finlande ou la Suède restent les mieux notés, les États de l’Est peinent à rejoindre les standards européens. Une intégra-tion véritablement démocratique semble encore hors de portée pour certains États can-didats, comme l’Ukraine ou la Moldavie, où les réformes se heurtent à des résistances internes puissantes.
Conclusion
L’Europe de l’Est reste confrontée à une corruption structurelle, alimentée à la fois par des pratiques héritées, un manque de volonté politique et parfois une complaisance d’acteurs économiques. La lutte contre ce fléau nécessite des institutions solides, une presse indépendante, une justice impartiale et une société civile active. Tant que la rela-tion entre pouvoir et argent ne sera pas redéfinie, les espoirs d’une gouvernance trans-parente resteront fragiles.
Sources :
- Transparency International. (2024). Corruption Perceptions Index 2023. Transparency International. https://www.transparency.org/en/cpi/2023
- Transparency International. (2019). Corruption Perceptions Index 2018. https://www.transparency.org/en/cpi/2018
- Transparency International EU. (2022). Access All Areas: When EU funds go rogue. https://transparency.eu/project/access-all-areas/
- European Commission. (2023). 2023 Rule of Law Report: Country Chapters and Rec-ommendations. Publications Office of the European Union. https://commission.europa.eu/publications/2023-rule-law-report_en
- Cour des comptes européenne. (2022). L’utilisation des fonds européens dans les États membres : efficacité et risques. https://www.eca.europa.eu
- Freedom House. (2024). Nations in Transit 2024: Confronting Autocracy in Europe and Eurasia. https://freedomhouse.org/report/nations-transit/2024
- Le Monde. (2021, 17 mars). Oracle, Veolia : la Roumanie secouée par des affaires de corruption impliquant des multinationales.
- France 24. (2015, 23 septembre). Roumanie : la filiale de Veolia accusée de corruption massive à Bucarest. https://www.france24.com/fr/20150923-roumanie-corruption-eau-veolia-apa-nova
- RFI. (2024, 28 janvier). Corruption en Hongrie : Viktor Orbán au cœur des critiques euro-péennes. https://www.rfi.fr/fr/
- HotNews.ro. (2020, 6 février). Condamnations en série pour corruption : Oracle, Dragnea, Mazăre. https://www.hotnews.ro
- Politico Europe. (2023, 12 septembre). Hungary’s EU fund scandal deepens with new findings. https://www.politico.eu
- Center for the Study of Democracy. (2022). State Capture Assessment Diagnostics: Bul-garia, Romania, Hungary. Sofia, CSD. https://csd.bg
- European Stability Initiative. (2020). Hungary: The Worst-Performing Member State in the EU? https://www.esiweb.org